Un bain, c'est toujours appréciable.

[Yuu Kanda]

Yuu Kanda, après avoir effectué un entraînement en bonne et due forme, se dirigea vers les bains. L'entrée des bains des hommes étant bloquée pour cause de grand nettoyage, le kendoka opta pour les bains mixtes.

Il se déshabilla, laissant ses affaires dans le vestiaire, ainsi que Mugen -à contrecoeur- et attacha une serviette blanche autour de ses hanches. Il détacha ses cheveux qui retombèrent sur ses épaules en un rideau de jais, et alla vers l'eau.

Le japonais s'y glissa d'un mouvement fluide, ne s'arrêtant pas pour tester la température de l'eau comme l'auraient fait certains, et se cala dans un coin, la tête renversée en arrière et les yeux mi-clos.

Il resta là, somnolant à moitié, les pensées aussi embrumées que l'air ambiant l'était par la vapeur.

[Gracie Chevalier]

Gracie bâilla en fourrageant dans ses cheveux, posant la main sur son ventre, légèrement rebondi par son récent repas. La jeune femme soupira d'aise avant de s'arrêter à un croisement : les bains ? La salle d'entraînement ?
La française se mordit la lèvre puis céda à la tentation d'un bon bain chaud, se promettant de plomber deux fois plus de cibles le lendemain.

"Quelle paresseuse, je fais", songea la française en arrivant devant la porte coulissante des bains mixtes : en chemin, Gracie avait croisé Cloud Nine qui pestait, une veine battant sur sa tempe, les joues colorées de poudre brûlée et ses cheveux blonds en pétard, son petit singe avait également le poil roussi.

"Ne vas pas dans les bains pour femmes ! Cet irrécupérable de Komui y a encore versé des sels de bains explosifs !"

Lau avait d'ailleurs appuyé sa compatible d'un vif couinement mécontent. La belle maréchale avait vivement reprit sa course vers le bureau de l'Intendant après avoir mise la française en garde. Aussi, Gracie se trouvait à présent face à la porte des bains mixtes.

La jeune femme fit coulisser l'entrée, une vague de chaleur la saisit aussitôt, puis se dirigea vers les vestiaires féminins pour se glisser derrière un auvent et retirer sa tunique et son pantalon. Elle rassembla ses affaires et les plia avant de les déposer dans un panier qu'elle casa dans un compartiment avant de saisir une serviette blanche et de s'y enrouler.

Touchant le saphir prisonnier de la torsade d'argent pendant autour de son cou, la jeune femme hésita à l'enlever. Elle se trouvait véritablement stupide de rester si désespéremment accrochée à ce fragment de son ancienne vie semblant lui crier "Souviens-toi de qui tu es" dès qu'elle le regardait.

Pestant, la blondine cacha le bijou dans sa serviette et ouvrit le plus silencieusement la seconde porte coulissante avant de la refermer doucement derrière elle.
Un panache de vapeur d'eau flottait dans l'air au dessus des bassins. Gracie s'approcha et sursauta soudainement lorsqu'elle vit une personne déjà présente dans l'eau. C'était Kanda.

"Nom de Dieu, il m'a fait peur", soupira mentalement la française en posant une main sur le coeur.
Le jeune homme était à moitié endormi. Ah, pourquoi devait-elle toujours tomber sur lui ?
S'approchant du rebord à pas feutrés, Gracie s'accroupit sur la margelle de pierres naturelles en tenant sa serviette d'une main et plongea l'autre main dans l'eau opaque.
Pensive, la jeune femme se mit à remuer doucement sa main dans le bassin, créant des ondes concentriques à sa surface, en observant le japonais assoupi : il était adossé à la margelle, la tête reposant contre une pierre. Ses longs cheveux noirs avaient été détachés, ruisselant sur ses larges épaules et son torse, quelques mèches mouillées contrastaient avec la peau pâle de son visage et la vapeur chaude avait marbré ses joues d'un rose léger.

"Il est quand même vraiment beau", songea Gracie en suivant du regard une gouttelette d'eau roulant sur le torse du japonais, puis sur ses abdominaux magnifiquement contrastés, avant de finir sa course dans l'eau du bassin.
La jeune femme sentit soudainement poindre un tiraillement familier dans son bas-ventre, le rouge lui monta aux joues et la française se mordit la lèvre inférieure pour se contenir.

"C'est pas vrai !"

Effarée, la blondine se rendit compte de ce qu'elle venait de faire et secoua la tête si violemment qu'elle en eut le vertige et bascula dans le bassin, se cognant la tête sur la margelle.

[Yuu Kanda]

Le ' Plouf ' que fit la française en basculant dans l'eau réveilla le kendoka, qui eut par la même occasion un sursaut peu habituel chez lui.

Il ouvrit les yeux aussi brusquement qu'il se redressa, cherchant du regard ce qui avait bien pu provoquer le bruit qui l'avait fait sortir de son demi-sommeil. Il aperçut alors Gracie, se massant la tête avec une grimace. Elle avait dû se cogner en tombant...

- Qu'est-ce que tu fous là, toi? Tu me suis à la trace ou quoi? grommela le japonais. Et puis ya des bains, pour les femmes, pourquoi t'y es pas allée?

Voyant la blondine tâter son crâne, certainement à la recherche d'une bosse, et ne pas lui répondre, il s'agaça vite.

S'approchant d'elle, le brun écarta la main de la jeune femme.

- Laisse-moi faire, cracha-t-il.

C'est néanmoins avec délicatesse qu'il posa ses doigts en plein milieu de la chevelure de l'exorciste, écartant les mèches trempées pour palper la peau. Il trouva vite la conséquence du choc : une petite bosse.

- C'est rien. Une légère bosse, fit l'épéiste d'un ton plus courtois en récupérant sa main.

Tandis qu'il était là, Yuu se souvint de l'incident du matin. Incident? Que s'était-il passé, déjà? En réalité, le jeune homme n'avait aucunement envie de se remémorer ce qui s'était passé à la bibliothèque. Une seule chose, qui lui était plutôt agréable, ne voulait pas quitter sa mémoire : quand il avait observé la blondinette dessiner, d'une main experte, ce qu'elle voyait. Son odeur de canelle et de fleur d'oranger, qui avait alors empli les narines de Kanda, était toute aussi présente dans ses souvenirs. On aurait traité sa mémoire de ' sélective ', si on avait pu lire ses pensées en cet instant, dans l'intimité des bains qu'il partageait avec la française, mais personne n'était là pour entendre ses réflexions intérieures...

[Gracie Chevalier]

Ayant piqué du nez dans le bassin après avoir reluqué Kanda, Gracie s'était cognée la tête sur la margelle. Elle refit surface à la surface opaque de l'eau en se frottant vigoureusement la tête à l'endroit du choc en grimaçant de douleur. Sentant la douleur s’apaiser lentement à force de masser, la blonde commença à tâter gauchement à la recherche d’une bosse.

Agacé par la maladresse de Gracie, Kanda dégagea la main de la jeune femme d’un geste impatient pour poser la sienne sur ses cheveux.

- C’est rien. Une légère bosse, diagnostiqua-t-il. Qu'est-ce que tu fous là, toi? Tu me suis à la trace ou quoi? grommela le japonais. Et puis y’a des bains, pour les femmes, pourquoi t'y es pas allée ?

Gracie fit une moue agacée.

- Là, je me baigne, à l’évidence. Et puis, non je ne te suis pas à la trace. D’ailleurs, je pourrais te faire la même remarque. Ensuite, les bains des femmes sont momentanément inutilisables. A cause de Komui.

Levant les yeux sur Kanda, l’ex-nobliau sentit immédiatement le rouge lui remonter aux joues. Elle rajusta sa serviette autour de sa poitrine sous l’eau en se tortillant légèrement avant de se lever dans le bassin pour grimper sur le bord de pierre.

- ‘Vais sous la cascade, grommela-t-elle vaguement.
En deux pas, la blondine marcha jusqu’à une pierre plate et s’y assis en ramenant ses genoux contre sa poitrine. Le jet d’eau massant se mit à ruisseler entre ses omoplates, Gracie soupira de bien-être en enfouissant sa tête dans ses genoux.

- Dis, Kanda, fit-elle gentiment au bout de plusieurs minutes de silence, en posant son menton sur ses genoux, fixant le japonais dans les yeux. J’aimerais bien en savoir un peu plus sur toi. Savoir pourquoi tu es si distant.

[Yuu Kanda]

- Là, je me baigne, à l’évidence, fit Gracie en réponse à la tirade de Kanda. Et puis, non je ne te suis pas à la trace. D’ailleurs, je pourrais te faire la même remarque. Ensuite, les bains des femmes sont momentanément inutilisables. A cause de Komui.

Elle leva les yeux vers le beau ténébreux, se détournant assez promptement pour ensuite sortir de l'eau et aller s'installer sous la cascade après un ' ‘Vais sous la cascade ' vaguement grommelé.

Quelques minutes plus tard, la française reprit la parole.

- Dis, Kanda, fit-elle gentiment, en posant son menton sur ses genoux, fixant le japonais dans les yeux. J’aimerais bien en savoir un peu plus sur toi. Savoir pourquoi tu es si distant.

- Et pourquoi j'te raconterais ma vie? cracha le kendoka, sèchement, en soutenant son regard.

Le silence se réinstalla, pesant, mais fut dissipé une minute à peine après.

- J'ai rien à t'dire, ajouta le japonais en se dirigeant tranquillement vers l'endroit où il était installé peu avant.

- Pourquoi tu me raconterais pas la tienne, si t'as tant envie de parler, soupira Yuu en se laissant glisser dans l'eau jusqu'au cou, ses cheveux flottant autour de lui et ondulant à cause des remous créés par le moindre mouvement du jeune homme.

[Gracie Chevalier]

Kanda avait catégoriquement refusé de céder le moindre morceau de terrain à Gracie. Actuellement, les deux jeunes gens ne savaient rien l'un de l'autre, et Kanda n'était certainement celui qui ferait le premier pas, c'était comme avouer une faiblesse.
"Quoi, mais c'est un genre de compétition ?!" s'énervait Gracie dès qu'elle y pensait.

- Pourquoi tu me raconterais pas la tienne, si t'as tant envie de parler, fit Kanda en se laissant glisser sous l'eau. Gracie arqua les sourcils.

"C'est bien ce que je me disais, songea Gracie. C'est vraiment une histoire de terrain gagné sur l'autre."

Haussant les épaules, la blonde ne voulait pas jouer à ce jeu là avec le japonais, elle décida donc faire l’amorce elle-même et prendre la réplique ironique de Kanda au pied de la lettre.

- J'ai vu le jour en France. Je suis née d'une aventure entre un comte et une libertine, à la sortie d'une réception bien arrosée, j’imagine. En gros, je suis la bâtarde du Comte Chevalier, brillant, hein ? raconta-t-elle, en prononçant sa dernière phrase avec dédain. D'un ton plus fluide, elle poursuivit.

Quand je suis née, ma mère biologique m'a déposée devant la grille du domaine de Bois-Argent, dans le Périgord, en décembre. Mon père a décidé de me garder pour que sa notoriété n'en pâtisse pas -il a eut de la chance que sa connerie ne se voit pas, je lui ressemblais comme deux gouttes d'eau ; ma belle-mère m'a haït toute ma vie pour ça.
Par la suite, j'ai eu trois demi-frères dont j'étais l'aînée : Paul me détestait, Will était le plus neutre des trois, et je crois que Guillaume était le seul qui me considérait plus ou moins comme sa sœur.

Gracie s'arrêta un instant, attendant une première réaction de la part de son interlocuteur. S'il lui sifflait de nouveau que ça ne l'intéressait pas, Gracie se fermerait comme une huître. Kanda ne posait pas de questions, ne l'interrompait pas, c'est également pour cette raison que les souvenirs de la jeune femme coulaient si facilement entre ses lèvres. Gracie observa Kanda avant de se passer les doigts dans ses cheveux, y semant le désordre, en soupirant profondément.

« J’ai perdu », songea-t-elle pensivement en regardant fixement l’eau s’écouler sur la margelle de pierres. Tant pis, si avoir lancé l'amorce peut au moins fendiller sa fichue carapace...»

[Yuu Kanda]

Kanda écouta ce que Gracie disait, car contrairement à ce que son ton lorsqu'il lui avait ' suggéré ' de raconter sa vie plutôt que de le questionner à lui, le kendoka était plutôt attentif, même si ça ne l'intéressait pas plus que ça. Il ne dit mot durant toute la tirade de la française, et puis, à quoi bon? Il n'avait pas envie de parler, de toute manière.

"Bois-Argent? Périgord?"

L'épéiste se renfrogna : pour n'avoir jamais mis les pieds en France en dehors d'une mission, les lieux énoncés par la jeune femme ne lui évoquaient absolument rien. Mais après tout, il s'en fichait bien! Il était simplement contrarié de ne pouvoir visualiser le cadre d'enfance de la blondine.

Le beau ténébreux lâcha un ' Tch ' méprisant qui, malgré ce qu'on aurait pu penser, n'était pas dirigé contre la jeune exorciste. Au contraire, c'était contre sa famille!

- Ta belle-mère et tes demi-frères sont méprisables, dit-il finalement.

Comment pouvaient-ils haïr à ce point la femme qui se tenait à quelques pas de lui? Ca le mettait en boule, pour la simple et bonne raison que Yuu lui-même ne parvenait pas à la détester, même avec toute sa bonne volonté, contrairement à sa facilité habituelle de snober les gens ou de les tourner en dérision.

Ruminant silencieusement ces pensées, le japonais n'ouvrit plus la bouche, se contentant de laisser planer le silence. Il releva sa frange trempée d'une main et tourna légèrement la tête vers Gracie, lui adressant un regard qu'elle aurait pu interpréter par ' Continue. '... Mais il s'agissait du glaçon international, bien sûr, il ne fallait pas l'oublier... Sauf qu'étrangement, il trouvait la voix de l'ex noble plutôt apaisante, et c'était bel et bien le sens qu'avait son mouvement. Comme quoi les miracles, ça existe...

[Gracie Chevalier]

Après avoir résumé les causes de sa naissance, Gracie avait marqué une pause, attendant une quelconque réaction de Kanda, toujours immobile dans le bassin. Ce dernier resta muré dans son mutisme.

Un léger courant d’air déclencha un frisson faisant tressaillir la française qui étouffa aussitôt un éternuement dans ses mains avant de se frictionner vivement les bras pour se débarrasser de sa chair de poule naissante.

Gracie leva les yeux vers Kanda, toujours silencieux. Il s’était embrunit ; elle devait l’ennuyer plus qu’autre chose, il s’en fichait très certainement comme d’une guigne, mais la française avait maintenant besoin de s’épancher.
Kanda lâcha un « Tch » caractéristique et méprisant, Gracie allait le prendre pour elle lorsque le japonais ajouta, acerbe :

- Ta belle-mère et tes demi-frères sont méprisables.

Gracie haussa les épaules, flexible.

- Marieta n’a jamais supporté l’idée de la concurrence, pas plus qu’elle n’aime la compétition. Ca reste humain comme sentiment. Et mes frères ont été conditionnés par leur mère, sans vouloir leur trouver d’excuse...

Kanda lui adressa un regard qui signifiait qu’elle pouvait continuer, dans sa langue. Gracie reprit une pose plus confortable sur sa pierre plate et coinça ses bras entre ses cuisses pour se tenir plus au chaud.

- Voyons, je me suis surtout faite élevée par une nourrice au début, ensuite toutes une série de professeurs plus guindés les uns que les autres ont tenté de m’inculquer des valeurs superficielles : marcher la tête haute, l’air orgueilleux, démarche assurée.
Des disciplines nobles : escrime, équitation, lettres, poésie, musique, politique, travail de couture, bonnes manières, etc... –Gracie secoua vaguement la tête, dépassée. Mon père voulait faire de moi un modèle de perfection en société, plutôt cocasse pour une bâtarde, mais c’était devenu son grand objectif. Alors, j’ai simplement fais ce qu’on me disait, si j’étais récalcitrante, on me rappelait acerbement que je n’étais qu’une « erreur de parcours », alors j’ai encaissé tout ce qu’on pouvait m’apprendre.
Peu à peu, on m’a fait participer à des réceptions mondaines. Et un jour, un marquis ivre mort a dégainé un révolver au beau milieu d’un dîner et s’est mis à tirer sur les invités : deux ministres sont morts, un duc, et un comte, mon père.
J’ai abattu cet homme moi-même et c’est à ce moment que ma compatibilité avec l’Innocence est apparue. Je devais avoir quinze ans, relata Gracie d’un ton doux.

Lorsque sa voix s’éteignit, laissant le son du fracas de l’eau sur la pierre perpétuer, la blondine étouffa un nouvel éternuement. Touchant ses joues, Gracie s'aperçut que des larmes s'étaient mises à ruisseler, d'abord une par une, puis avec abondance et sans qu'elle puisse les réprimer. La brume de vapeur la cachant vaguement à Kanda, la française laissa donc couler en essuyant régulièrement. Elle renifla légèrement, puis sa respiration adopta un rythme qui ne tromperait pas.

[Yuu Kanda]

Kanda écouta sans un bruit la tirade de Gracie.

Elle avait tué l'ivrogne elle-même, alors qu'âgée de seulement quinze ans et éduquée pour être une lady, force était pour le jeune homme de reconnaître que la française pouvait être impressionnante.

De plus, il apprenait qu'elle avait vécu sous contrainte, méprisée, et qu'on avait usé d'elle comme d'un splendide cheval de concours à qui on apprend à parader, à être fringuant et à marcher le chanfrein haut. Quelque part, ils avaient des points communs : le japonais avait été créé, on s'était toujours servi de lui comme d'un objet et l'avait manipulé comme une précieuse arme vivante.

Les deux jeunes gens avaient vécu sans considération pour ce qu'ils étaient, répondant à ce qu'on attendait d'eux.

Le beau ténébreux resta silencieux un moment, puis son ouïe finement aiguisée perçut de légers reniflements et une respiration à peine saccadée qui ne le trompait pas.

- Me dis pas que tu pleures? C'est pas vrai... soupira Yuu, dépassé.

Il y avait toujours une différence de taille entre eux deux. Plusieurs mêmes. Beaucoup... Trop? Non. Et le brun était bien obligé d'admettre qu'il avait réellement écouté ce qu'avait dit le blondine. Pire : ça l'avait intéressé.

- Et si je me souviens bien, on est dans bains, non? À ton avis, elle sert à quoi l'eau chaude? fit l'exorciste, moqueur.

L'éternuement de Gracie venait de lui revenir en mémoire, et seule cette réplique lui avait paru potable... Mais pourquoi se souciait-il qu'elle soit un tant soit peu enrhumée?

Certainement un léger bug au niveau "raisonnement logique, rationnel & cie"...

[Gracie Chevalier]

- Ne me dis pas que tu pleures ? C’est pas vrai...

Effaçant vivement les larmes sur ses joues, Gracie répondit simplement :

- Je ne pleure pas.

Le flot commençait à s’apaiser, mais les larmes salées avaient laissées des traces de leur passage : des légères marques rouges étaient apparues sous ses yeux, témoignant que la française avait dû s’y prendre à plusieurs fois pour réprimer ses émotions.

Kanda avait peut-être été interpellé par les éternuements –pourtant discrets- mais répétitifs de Gracie et lui avait rappelé avec moquerie qu’ils se trouvaient dans des bains chauffés tandis que la jeune femme, le corps mouillé, restait dans les courants d’air, sur sa pierre plate.

- Et si je me souviens bien, on est dans les bains, non ? À ton avis, elle sert à quoi l'eau chaude? fit l'exorciste brun, d’un ton moqueur aussi que désabusé.

- Attends que je sois à peu près présentable, bougonna Gracie en cueillant de l’eau froide entre ses paumes dans l’aval d’une petite rigole de bambou avant de s’en asperger le visage à plusieurs reprises, insistant davantage sur ses yeux légèrement rouges.

Enfin, la blondine descendit de son perchoir en se laissant glisser sur la margelle de pierres agréablement chaude sous ses pieds. Elle marcha jusqu’au rebord du bassin puis y glissa une jambe fuselée, puis l’autre, avant d’avoir de l’eau jusqu’au bassin. Se laissant glisser contre la margelle, Gracie laissa choir son séant sur une pierre au fond du bassin et s’immergea dans l’eau chaude jusqu’aux épaules en reposant sa tête sur le bord, ses courts cheveux blonds serpentant sur la pierre grise comme des veines dorées.

Le choc thermique entre la fraîcheur de l’air et la température du bassin provoqua une sensation brûlante sur la peau de l’exorciste avant de se répandre en elle comme une vague de douce chaleur bienfaisante. La française émit un ronronnement de chat satisfait en sentant ses muscles de délasser et son esprit se vider pour accueillir toutes ces sensations de bien-être.

- Alors, ce pourrait-il que tu m’aie écouté parler ? lança Gracie d’un ton légèrement enjoué.

[Yuu Kanda]

- Je ne pleure pas.

Kanda lâcha un ' tss ' moqueur. Parce qu'elle pensait qu'il allait la croire, en plus?

- Attends que je sois à peu près présentable, bougonna Gracie.

Le japonais leva les yeux au ciel. Comme si ça changeait quoi que ce soit... Mais il remarqua que, bien que s'étant débarassée de la plupart de ce qui lui avait été enseigné comme manières et attitudes, la blondine rechignait toujours à se montrer sous un mauvais jour.

Peu après, la jeune femme s'approcha et se laissa glisser dans l'eau, à quelques oas seulement de l'épéiste, émettant ce que le brun reconnut comme une sorte de ronronnement, ce qui lui fit hausser un sourcil.

- Alors, ce pourrait-il que tu m’aie écouté parler ? lança Gracie d’un ton légèrement enjoué.

- Tch!

Ce fut la seule ' parole ' qu'il daigna prononcer en réponse à la question de la française.

Pour qui se prenait-elle, cette fille, à le soumettre à ses interrogatoires improvisés? D'accord, il avait écouté ce qu'elle avait conté de sa vie, mais ça s'arrêtait là. Non. Ca l'avait intéressé, oui. Mais non! Enfin, si...

Et voilà que lui, Yuu Kanda, LE glaçon de la Congrégation de l'Ombre, s'attendrissait. Oui, il fallait l'avouer : il avait été attendri. Et tout ça à cause de quoi? Pas ' quoi ', mais ' qui '. À cause de cette petite blonde au caractère bien trempé, à cause de cette ex-noble française, à cause de cette femme aux paroles aussi dangereuses que ses deux pistolets. Ca ne plairait pas à caux qui se servaient du japonais. Oh non, ça n'allait pas leur plaire... Eh bien qu'ils aillent se faire voir! Il ne serait plus l'arme humaine, docile et précieuse. L'outil n'en serait plus un. Non, c'était terminé, tout ça...

Le kendoka tourna la tête vers la blondinette, et il vit que ses yeux étant encore rouges : elle avait pourtant certainement essayé de l'estomper.

- Menteuse, souffla Yuu.

Elle avait pleuré, en effet.

[Gracie Chevalier]

Gracie entendit Kanda souffler un « Menteuse » à mi-mots, cela ne lui échappa pas et la blonde arqua ironiquement les sourcils. Décollant son dos de la margelle, l’ex-comtesse nagea jusqu’au jeune homme et s’agenouilla juste devant lui, de l’eau au bas des épaules.

- Toi aussi, tu me mens, affirma Gracie, un air indéchiffrable sur le visage. Ne rien vouloir me dire équivaut à me mentir.

La blondine planta ses yeux bleus dans ceux de Kanda, ses yeux de braise brûlant autant de détermination que d’une ardeur qu’on devinait naturellement présente dans son caractère au fil des jours. N’importe qui aurait sûrement baissé les yeux quelques instants, mais ce n’était pas le cas de Kanda qui lui rendrai un regard égal, et c’était ce qui plaisait tant à Gracie chez le japonais : jamais il ne se démontait, il était toujours sûr de lui et parfois hautain. La française se demandait d’ailleurs pourquoi le caractère insupportable de ce jeune homme irascible et asocial l’attirait tellement et irrémédiablement. Autant se l’avouer...

Il y avait peut-être une réalité toute simple là-dessous, mais Gracie ne se sentait sûrement pas encore prête à la reconnaître et à l’accepter.

Se rejetant en arrière, l’exorciste se laissa flotter sur le dos en effectuant un harmonieux mouvement de bras pour se faire glisser à la surface de l’eau. Semblable à un cygne. Jusqu’à ce que la jeune femme ne s’arrête brusquement en ramenant ses bras contre sa poitrine, redressant la tête et projetant des mèches trempées sur ses joues, elle pesta :

- Merde, j’ai échappé ma serviette, grommela-t-elle en se mettant à tâtonner le fond du bassin en gardant un bras contre sa poitrine.

En se penchant pour atteindre le fond carrelé, le dos ruisselant de gouttelettes de Gracie émergea de l’eau. Et, laissant à peine se profiler sur la teinte pâle de la peau de la française, une balafre légèrement plus « luisante » se profila sur son côté gauche.

[Yuu Kanda]

Gracie nagea jusqu'à Kanda, s'agenouillant sur le fond du bassin, juste devant lui.

- Toi aussi, tu me mens, affirma-t-elle, un air indéchiffrable sur le visage. Ne rien vouloir me dire équivaut à me mentir.

La française planta ses yeux bleus dans ceux du jeune homme, qui soutint son regard, impassible. La blondine avait de jolis yeux, certes. Yuu était bien obligé de l'admettre. Il n'aurait en temps normal jamais baissé les yeux, bien sûr, mais il en avait encore moins envie, à cet instant. Zut... Quelque chose était vraiment détraqué, dans sa tête, ce jour-là... Et sacrément même.

Quelques minutes après, l'ex-comtesse se rejeta en arrière, flottant sur le dos, avec quelques gracieux mouvements de bras. Soudain elle s'arrêta, ramenant ses bras contre sa poitrine, et se redressa en renvoyant ses cheveux trempés en arrière.

- Merde, j’ai échappé ma serviette, ronchonna l'exorciste.

Le japonais, qui s'était jusque là permis de vaguement la regarder nager, se figea.

La couleur que prenait ses joues n'était en rien due à la chaleur qui régnait dans les bains, et c'est avec un grognement aisément perceptible qu'il se redressa.

Gracie tâtonnait au fond du bassin, et alors qu'elle se baissant, laissant son dos nu à la vue du kendoka. Il ne manqua pas de remarquer la balafre qui courait sur sa peau lisse et certainement douce... mais ne fit aucune remarque. Après tout, si elle avait voulu qu'il le sache, elle aurait intégré l'incident relatif à la cicatrice dans son récit.

L'épéiste fit quelques pas et se baissa, attrapant du bout de ses longs doigts la serviette qui gisait sur le carrelage. Il la tendit ensuite à la jolie blonde qui lui faisait maintenant face, la tête légèrement détournée sur le côté, comme si la vue du corps svelte de la jeune femme le répugnait, le visage empourpré.

- Tiens, lâcha Yuu, acerbe.

Mais, ce qu'elle ne pouvait -et devait- pas savoir, c'est que certaines tentations trop fortes pouvaient avoir raison de n'importe qui, même d'un iceberg cuirassé...

[Gracie Chevalier]

Toujours à la recherche de sa serviette perdue, Gracie ne faisait plus vraiment attention à celui qui occupait également les bains. Comme si sa présence était naturelle et ne dérangeait pas la française qui continuait à ratisser le fond du bassin.

Un bruit d’eau qui cascade indiqua à Gracie que Kanda s’était levé. Instinctivement, la blonde avait tourné la tête vers lui et crût un moment qu’elle allait se mettre à saigner. Elle plaqua sa main sur sa bouche et son nez et simula aussitôt un éternuement pour prétexter son geste brusque.

Le corps du japonais était svelte mais superbement musclé, pas une seule cicatrice ne troublait la contemplation de Gracie, dû à ce phénomène étrange de guérison immédiate que la blonde avait du mal à saisir. Des gouttelettes perlaient sur son torse et ses abdos mais Gracie préféra se re-concentrer sur la serviette que venait de ramasser Kanda au fond du bassin.

- Tiens, fit Kanda d'un ton acerbe.

L’ex-comtesse fit la moue et poussa un soupir qui souleva ses mèches détrempées en acceptant le linge salvateur. Puis, contre toute attente, elle se leva, un bras toujours contre sa poitrine et se tourna dos au kendoka : car certes, les français avaient des mœurs mais n’avaient jamais été réputés pour leur pudeur.

Gracie dévoila donc des hanches fines et bien tournées, un dos gracile mais raisonnablement musclé ainsi qu’une chute de reins plus qu’attirante. L’eau masquait le reste, fort heureusement, même si la blondine n’était pas pudique, elle n’était pas exhibitionniste pour autant.

Elle s’enroula dans sa serviette et s’immergea de nouveau en se retournant vers Kanda, resté silencieux, s’avisant cette fois-ci de concentrer son regard sur le visage écarlate et ruisselant aux cheveux noirs et détrempés du japonais.

Il y eut un long silence durant lequel aucun des deux jeunes gens ne prit la parole, se fixant l’un l’autre. Une blonde se disant qu’aujourd’hui, quelque chose ne tournait décidemment pas rond dans sa tête.

[Yuu Kanda]

Gracie prit la serviette que lui tendait Kanda, avec un soupir qui fit voleter ses mèches mouillées, puis lui tourna le dos. Elle se leva pour pouvoir s'enrouler dans le linge, ce qui permit au japonais d'avoir une vue dégagée du corps de la française, et ce jusqu'aux reins. Il se sentit rougir encore plus, mais ce n'est pas pour autant qu'il se détourna les yeux.

Après, la blondine se réimmergea dans l'eau, se contentant de fixer le kendoka empourpré qui lui rendait un regard égal.

Le silence tomba, pesant, et aucun d'eux deux ne voulait le rompre. Et pourtant, contre tout attente, c'est Yuu qui prit la parole, d'un ton monocorde qui ne faisant pourtant rien perdre de sa profondeur à sa voix au magnifique accent japonais.

- Je suis un apôtre artificiel. Créé par le Vatican, parce que les exorcistes sont trop peu nombreux. Je me régénère, donc je suis un outil précieux. Une arme humaine. On a jamais eu de considération pour ce que j'aurais bien pu en penser.

S'arrêtant là, le brun planta son regard bleu glacial dans les prunelles de la jeune femme qui lui faisait face, comme pour la mettre au défi d'une quelconque réflexion déplacée, insultante, ou autre de cet acabit.

On pouvait presque penser qu'il avait daigné révéler cela pour faire remarquer le point commun dans leur vie... Alors que, connaissant l'épéiste, ça ne pouvait être dans ce but. Lui, se fichant de tout et de tout le monde. Lui, distant et indifférent aux souffrances de ceux qui l'entourent. Lui, qui était traité comme un objet. Un objet dont on ne se séparerait pour rien au monde. Lui, qui avait été attendri par l'histoire de l'ex-comtesse.

[Gracie Chevalier]

- Je suis un apôtre artificiel. Créé par le Vatican, parce que les exorcistes sont trop peu nombreux. Je me régénère, donc je suis un outil précieux. Une arme humaine. On n’a jamais eu de considération pour ce que j'aurais bien pu en penser, lança soudainement Kanda d’un ton monocorde.

Gracie resta bouche bée pendant plusieurs secondes avant de la refermer précipitamment. L’ex-comtesse avait peur d’avoir bien entendu, or elle savait très bien qu’elle avait entendu et pire : qu’elle avait compris. La française s’interdit toute marque de pitié ou d’écœurement. D’ailleurs, elle ne trouvait Kanda ni pitoyable ni écœurant, la blonde était juste choquée et en même temps furieuse : son esprit n’était plus qu’un mélange d’émotions qui commençait à lui donner d’affreux maux de tête ainsi que des aigreurs d’estomac. Pourquoi avait-il lâché cette révélation si soudainement ?

Gracie ne savait plus trop quoi dire : Kanda n’était pas un « humain » à proprement parler, mais il restait lui-même, un individu avec un cœur, des sentiments, des pensées et une volonté. Jouer la carte de l’indifférence était une option insupportable pour Gracie, mais la complainte serait encore pire pour le jeune homme.

Poussant un profond soupir, la jeune femme se redressa en tenant sa serviette fermée d’une main et vint se poster juste devant le kendoka. A cet instant, elle aurait aimé pouvoir le prendre dans ses bras, mais il aurait refusé à n’en pas douter.

- Tu pourrais débarquer d’une autre planète que tu resterais toujours « Yun-Yun » pour moi, rit-elle donc avec un sourire o se mêlaient raillerie et bienveillance en pointant son index sur le torse du japonais.

[Yuu Kanda]

Gracie étai restée bouche bée un moment, puis l'avait refermée. Après un soupir, elle s'était levée en tenant sa serviette d'une main, et s'était plantée devant Kanda.

- Tu pourrais débarquer d’une autre planète que tu resterais toujours « Yun-Yun » pour moi, rit-elle donc avec un sourire où se mêlaient raillerie et bienveillance en pointant son index sur le torse du japonais.

Pour cette fois, le kendoka n'était pas énervé qu'elle l'appelle ' Yun-Yun '. Son visage resta impassible, comme à son habitude, mais quelque chose le titillait. Ca ressemblait presque à... du soulagement.

Yuu détourna la tête et sortit de l'eau, tandis que celle-ci ruisselait sur sa peau. Sans plus sembler se soucier de la jeune femme, l'épéiste sortit des bains, allant dans les vestiaires se rhabiller. Tandis qu'il s'attachait les cheveux en son habituelle queue de cheval haute, le brun cogitait sur ce qui pouvait bien pousser la jeune femme à lui parler ainsi...

Oui, décidément, cette journée était à classer dans la catégorie ' étrange et inhabituelle '... Et le jeune homme sortit, tout en rattachant Mugen à sa place habituelle, de l'eau dégoulinant toujours de sa chevelure qu'il n'avait même pas pris la peine de sécher un minimum, ne serait-ce qu'en l'essorant entre ses doigts.

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