Re: "Un lieu reposant..."

[Yuu Kanda]

Le silence persista un moment, jusqu'à ce que le kendoka daigne enfin répondre, d'une voix tellement basse qu'elle aurait été difficile à entendre si la jeune femme avait été à peine à deux ou trois mètres plus loin de lui.

- Tais-toi, ordonna le brun.

Son calme, tout comme sa position faisant penser à une statue de marbre, le rendaient intimidant. Intimidant dans le sens que l'on ne pouvait savoir ce qu'il pensait - encore moins que d'habitude -, et ce pour l'autre raison qu'était le fait qu'il tournait le dos à Gracie, malgré ce qu'elle venait de lui hurler. Mais intimidant, aussi, par l'absence de réaction propre à son caractère.

Après quelques minutes supplémentaires de silence de plus en plus pesant, le japonais ouvrit de nouveau la bouche.

- Je préfère le silence.

Cette simple et courte phrase, pouvant paraître anodine chez quelqu'un d'autre que le glaçon de service, faisait l'effet d'un aveu pour lui. Certes, ce qu'il venait de dire était connu, mais cela revenait au même.

Qu'est-ce qui lui prenait, d'être aussi aimable? Bonne question, à vrai dire...

Las, l'épéiste passa une main dans ses cheveux, ramenant la masse d'un noir d'ébène aux reflets bleutés dans son dos. D'un geste quasi-routinier, il porta la main à une poche de sa veste d'uniforme... et en trouva évidemment pas de lien.

- Tu as un ruban, quelque chose? fit Yuu, réticent même ne serait-ce qu'à l'idée d'être redevable, de quelque manière que ce fut, envers qui que ce soit.

[Gracie Chevalier]

Gracie avait finit de balancer à la face du japonais ce qu'elle pensait de son geste purement égoïste, mais à sa surprise, le japonais n'entra pas dans une colère aussi noire que violente... il se contenta de lui dire de se taire. Gracie songea qu'il allait finalement répliquer, mais il marmonna comme un aveu qu'il préférait le silence.

Les traits tirés de la demoiselle se détendirent doucement, prenant un air contrit d'enfant prise en tort. Lorsque Kanda reprit la parole, elle tressaillit.

- Tu as un ruban, quelque chose ?

- Euh oui, attends voir... lança-t-elle en fourrageant nerveusement dans son sac à ses pieds. Elle en tira un petit élastique qu'elle utilisait parfois pour rassembler ses courts cheveux dorés en une petite queue de cheval et s'approcha dans le dos de Kanda.

- Je vais le faire, ça ne s'attache pas comme des ficelles normales, le prévint-elle alors qu'elle pinçait l'élastique entre ses lèvres pour rassembler la longue chevelure noire du jeune homme en une longue queue de cheval. Elle dut se hisser sur la pointe des pieds pour nouer convenablement l'élastique dans ces cheveux qui lui glissaient entre les doigts.

Un coup porté à la porte se fit entendre. Gracie courut ouvrir et vit Peck dans l'entrebâillement. Le scientifique sembla ravi de la voir.

- Tiens, bonjour Gracie ! Dis-moi, tu n'aurais pas vu Kanda, pour son uniforme ?

- Non, je suis désolée, il n'est pas là.

- Vraiment ? Tant pis, je vais aller me boire un café, capitula -très facilement- l'homme le plus atteint de voyeurisme de la scientifique. Sur ce, après une tentative ratée de vue sur le décolleté de la blonde, il repartit. Gracie referma la porte et s'y adossa en soupirant profondément.

[Yuu Kanda]

- Euh oui, attends voir... lança Gracie, en réponse à la question du kendoka.

Celui-ci l'entendit farfouiller dans son sac, puis elle revint et se plaça derrière lui.

- Je vais le faire, ça ne s'attache pas comme des ficelles normales, le prévint-elle.

Tadis que la jeune femme attrapait la masse de cheveux noirs, Kanda lacha un espèce de grondement, lui signalant qu'elle n'était pas - tellement - la bienvenue. Cependant, il la laissa attacher la queue de cheval sans plus broncher.

Quelqu'un frappa à la porte massive de la bibliothèque, et la blondinette alla ouvrir.

Apparemment, il s'agissait de Peck.

- Tiens, bonjour Gracie ! Dis-moi, tu n'aurais pas vu Kanda, pour son uniforme ? demanda l'homme.

- Non, je suis désolée, il n'est pas là.

Entendant ces mots, Yuu ne put s'empêcher de se demander :
" Pourquoi me cache-t-elle? N'était-ce pas elle-même qui, tout à l'heure, m'a hurlé dessus à ce suejt? "

- Vraiment ? Tant pis, je vais aller me boire un café, capitula l'homme.

" Vraiment trop naïf... Et tout cela pourquoi? Certainement parce que cette Gracie est une femme, tiens... Pitoyable. "

L'épéiste lâcha un ' tss ' dédaigneux.

L'exorciste referma le battant quand Peck fut parti et s'y adossa en laissant échapper un long et profond soupir.

- Pourquoi? s'enquit simplement la japonais, préférant ne pas s'encombrer de plus de mots que nécessaires.

Il pivota légèrement, juste assez pour apercevoir le visage de la française. Après tout, l'expression faciale des gens trahissait aisément leurs pensées. Raison de plus pour rester impassible et indifférent si l'on voulait garder ses secrets.

[Gracie Chevalier]

- Pourquoi ?

Gracie ne fit pas mine de réfléchir, la réponse fusa sur le bout de sa langue avec sa spontanéité caractéristique :

- Parce que si tu as eu l'audace de m'endormir pour te fournir un alibi, autant que cela ait servi à quelque chose.

C'était un demi-mensonge. Tout comme Kanda, elle avait répondu en se composant un masque d'indifférence infranchissable. Eh oui, elle aussi savait jouer à dissimuler le fond de sa pensée en ne laissant rien transparaître sur son visage.
De nature rancunière, la française ne comprit pas elle-même pourquoi elle avait couvert le jeune homme alors qu'il venait de l'utiliser comme un vulgaire objet. C'est cette impression que Gracie venait de dissimuler derrière sa carapace neutre : l'incompréhension.

"Faut te ressaisir, ma vieille !" se fustigea mentalement la jeune femme en s'asseyant de nouveau à une table de travail, repliant ses jambes sur un tabouret haut-perché. Elle sortit une feuille et un crayon bien taillé : ayant la bibliothèque -presque- toute à elle, la française décida d'en faire un croquis, la dessiner telle qu'elle la voyait à présent et l'inclure dans le carnet de bord qu'elle tenait depuis longtemps, caché derrière le miroir de sa chambre.

Alors, à grands traits, Gracie commença une esquisse grossière qu'elle affinerait au fur et à mesure. Là, dans le coin d'une fenêtre, se profilait déjà une silhouette masculine de dos, faite à la hâte.

[Yuu Kanda]

- Parce que si tu as eu l'audace de m'endormir pour te fournir un alibi, autant que cela ait servi à quelque chose.

Kanda, voyant le masque d'indifférence que Gracie s'était composé avant de répondre, ne put s'empêcher de penser que, peut être, cette fille n'était pas aussi bête que les autres. Mais juste un - tout petit - peu moins.

" Il n'empêche que je ne comprends pas pourquoi elle m'a crié dans les oreilles, tout à l'heure, dans ce cas. "

L'épéiste, suivit vaguement du regard la jeune femme lorsqu'elle alla s'installer sur un tabouret haut, attrapant au passage un carnet et un crayon.

Se rendant compte de la futilité de toutes ces questions, de ces pensées, de la joute orale teintée de secret à laquelle il venait de prendre part, le brun se donna une claque mentale.

Et pourtant...

- Qu'est-ce que tu fous? lança-t-il d'un ton volontairement désintéressé, sans bouger de là où il se trouvait.

[Gracie Chevalier]

- Qu'est-ce que tu fous ? lança Kanda d'un air désintéressé. Gracie ne leva même pas la tête pour le regarder et appuya sa joue sur son poing en continuant à tracer à grands traits ce qu'on aurait pu comparer à des ratures sans jeter un oeil à la feuille.

- En général, on reconnait les personnes qui dessinent : leurs coups de crayon sont bien moins réguliers que ceux qui écrivent, répondit-elle ironiquement, histoire d'effacer sa gentillesse d'il y a quelques minutes. Plus aimablement, elle ajouta :

- Je fais un croquis de la bibliothèque, pour illustrer mon carnet de bord.

Assise noblement sur le rembourrage du haut tabouret, le dos penché mais droit, Gracie leva les yeux pour se remémorer l'ensemble de la pièce. La lumière de la fenêtre donnait à la salle une ambiance mystérieuse, ancienne ; Gracie espéra de tout coeur réussir son croquis et lui donner ce même aspect si impérieux.

Kanda, quant à lui, était toujours près de la fenêtre et la lumière projetée sur lui le rendait également à peindre, Gracie ne se le conseilla pas deux fois avant de commencer à noircir l'espace délimitant l'uniforme de l'irascible jeune homme.

[Yuu Kanda]

- En général, on reconnait les personnes qui dessinent : leurs coups de crayon sont bien moins réguliers que ceux qui écrivent, répondit Gracie d'un ton ironique. Je fais un croquis de la bibliothèque, pour illustrer mon carnet de bord, ajouta-t-elle plus gentiment.

Kanda s'approcha et se plaça derrière la jeune femme, et regarda, penché par dessus son épaule. Sa main blanche aux fins doigts traçait avec une vitesse mesurée et avec précision un croquis qui prenait peu à peu forme. Avec étonnement, le kendoka se reconnut, planté devant la fenêtre.

Il ne put que rester là, suivant des yeux chaque mouvement du crayon, comme obnubilé par les traits noirs qui prenaient place sur la blancheur de la feuille, rendant avec un réalisme époustouflant le mystère de la pièce obscure. Près de chaque fenêtre, dont le verre jauni et crasseux préservait les précieux volumes de la morsure du soleil sur leur encre, était ici légèrement grisée, et l'on pouvait même distinguer le peu de lumière qui filtrait au travers.

La française s'attardait sur la partie de son oeuvre qui représentait l'épéiste, ombrant de ci et de là, délimitant la masse de cheveux noirs d'un trait, la remplissant ensuite. L'uniforme - décidément bien trop petit - avait déjà été réprésenté.

Chaque détail des étagères et des livres alentour donnait l'impression d'avoir une photographie - plus vraie que l'original - de ce que voyaient les deux exorcistes qui ne disaient plus un mot, laissant le silence reprendre ses droits dans l'immense pièce.

Délaissant un court instant le papier et le frottement de la mine, Yuu remarqua le parfum de la chevelure de la jeune blonde, qui lui chatouillait le nez, chaud et doux à la fois. C'était une odeur de cannelle, ce qui expliquait cette espèce de chaleur épicée, mais il y avait la douceur, une légère fragrance de fleur d'oranger, donnant un mélange un peu inhabituel mais bien loin d'être désagréable.

Le regard du japonais glissa de l'or des cheveux jusqu'à la blancheur de la peau du cou de Gracie, légèrement dénudé par son haut, sur lequel bouclaient le bas de quelques mèches couleur de miel.

Prenant conscience de son égarement - peu décent, soit dit en passant -, il revint au dessin, ses pomettes rosissant légèrement mais immanquablement. La jeune exorciste était en train d'ombrer et de rectifier d'un coup de main expert tout ce qui, à ses yeux, ne correspondait pas à la réalité.

L'égarement, même passager, surtout de ce genre-là, n'était pourtant pas inscrit dans la liste - non exhaustive - des habitudes de Kanda...

[Gracie Chevalier]

Gracie ne le vit pas mais entendit Kanda se déplacer, pensant qu'il allait sortir de la bibliothèque, elle se hâta de retracer à coups de crayon vifs mais précis l'image que sa mémoire instantanée avait saisie de lui.

La française retint un sursaut de surprise lorsqu'elle s'aperçut que le japonais était venu se pencher sur ce qu'elle dessinait. Elle déglutit lorsqu'elle le sentit respirer juste au dessus de son épaule, mais mit sa présence de côté pour se concentrer sur son croquis et l'aspect qu'elle était déterminée à lui donner.

L'esquisse grossière s'affinait rapidement sous les habiles coups de gomme et de crayon de Gracie, la bibliothèque naissait des traits épars, jouant dans les nuances de gris et de noir, allant de la plus légère ombre grise projetée par une mappemonde sur une table au noir profond dans un angle obscur entre deux étagères.
Les gravures du mobilier se creusaient dans le papier, fines et précises, les entrelacs élégants et les gracieuses arabesques des colonnes et du morceau de plafond visible prenaient vie au rythme des grattements légers du graphite sur le papier.

Gracie était littéralement absorbée, elle ne jetait presque plus de coups d'oeil en guise de "rappel" à la bibliothèque. Comme dans une bulle, il ne restait plus qu'elle, son crayon, le croquis... et éventuellement le jeune homme penché sur son épaule.

La française commença le travail d'ombrage -annonçant la fin du dessin- le réalisme du croquis n'en devint que plus frappant et plus admirable encore. Les rais de lumière filtrant par les carreaux opaques dansants sur la reliure des manuscrits, les tables, même le reflet du tissu chatoyant des fauteuils avaient été fidèlement restitués dans le croquis.

Gracie souffla doucement sur sa feuille pour la débarrasser de la poussière de graphite accumulée sur les zones obscures du dessin, se gardant bien d'y passer la main. Un dernier coup de crayon à la posture de Kanda acheva le croquis.

Joyeuse, Gracie se jeta en arrière en écartant les bras avec un soupir de contentement, elle en oublia le kendoka posté juste derrière elle, et retomba contre son torse, la tête sur son épaule.

- Oups, désolée.

[Yuu Kanda]

Quand Gracie eut fini, aorès avoir mis un dernier coup de crayon à la silhouette de Kanda, elle se rejeta enparrière; les bras écartés. Apparemment, elle avait oublié la présence de celui-ci derrière elle car la jeune femme se retrouva tout contre son torse, la tête sur son épaule.

La fragrance de sa chevelure, jusque là bien forte déjà, emplit le nez du brun. Les cheveux blonds et soyeux carressèrent furtivement le cou de ce dernier, qui se figea.

- Oups, désolée, lança la française.

Il fallut un petit instant à Yuu pour reprendre pleinement ses esprits, et il recula d'un pas, rompant le contact. Contact que, à son grand malheur, il n'avait pas trouvé désagréable.

Sans dire un mot, sûrement pour préserver son honneur - et sa réputation, fatalement -, le kendoka sortit de la pièce à grands pas, et bizarrement ne claqua même pas la porte. Ses joues, qui avaient pris une légère teinte rosâtre peu avant, atteignaient maintenant un joli rouge carmin, qu'il ne pouvait maheureusement plus cacher avec ses cheveux vu qu'ils étaient attachés.

Le sentiment étrange que cette jeune femme allait le dérouter, titiller son mauvais caractère, s'immiscer imperceptiblement dans ses habitudes bien rodées prit le jeune homme, et il se dépêcha de l'éloigner.

Comme un coup de vent, l'épéiste se dirigeait vers sa chambre, mais c'était sans compter sur Johnny et son "armée" improvisée...

- Johnny, voilà Kanda! claironna quelqu'un sur sa droite.

Ce dernier fut tout d'abord fusillé par un regard bleu glacial - si un simple regard pouvait tuer, ce cher glaçon aurait fait des centains de victimes -, faisant se tordre son visage sous le coup de la peur de ce qu'il allait subir, puis l'expression revint à l'amusement.

Et ce n'était pas sans raison, car plusieurs scientifiques se jetèrent dans un bel ensemble sur l'exorciste vociférant des injures et des menaces à leur encontre, tout sourire, et l'entraînèrent vers le lieu du supplice qui allait suivre : l'atelier de Johnny, le "couturier en chef" du QG des Moines de l'Ombre.

[Gracie Chevalier]

- Bah ? Il a foutu l'camp, fut la seule réaction de Gracie, restée dans une position assez cocasse, les bras toujours repliés en l'air, l'air abasourdie et les cheveux ébouriffés.

Haussant les épaules, Gracie contempla son oeuvre avant de la glisser dans une chemise de cuir avant de la ranger dans son sac, ainsi que son matériel.

La jeune femme se leva en remettant son sac sur l'épaule et se dirigea vers la table basse pour ranger tous les livres qui avaient été laissés en plan par le départ précipité d'Ava Lev. Gracie reclassa les ouvrages un par un lorsque sa main se posa sur la couverture de "L'Archonte", Ava le lui avait conseillé. Gracie le fourra également dans son sac avant d'inscrire son emprunt sur le registre et de sortir de la bibliothèque, se retournant pour la regarder quelques secondes avant de refermer derrière elle.

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